par Vasileios Gkionakis, Responsable de la stratégie FX chez Lombard Odier
– Nous restons positifs à l’égard du renminbi (RMB) en raison de plusieurs facteurs macroéconomiques et maintenons une surpondération de 4,5% avec une position longue en dette gouvernementale chinoise dans la plupart de nos portefeuilles
– Mais nous sommes souvent interrogés sur les risques que comporte cette approche et sur ce qui nous inciterait à une prudence accrue
– Ce bulletin se concentre sur quatre risques clés que nous surveillerons, même s’ils n’empêcheront probablement pas une amélioration des perspectives du RMB dans les mois à venir.
Notre scénario de base : l’USD/RMB devrait terminer l’année à 6,22. Ce point de vue repose sur une valorisation encore attrayante, une balance des paiements très favorable (balance courante robuste et entrées de capitaux élevées), un rendement intéressant et un contexte de commerce mondial satisfaisant cette année. Notre modèle de juste valeur, qui utilise des variables macroéconomiques telles que les différentiels de taux d’intérêt et la part de la Chine dans le commerce international, suggère un niveau d’environ 6,35 pour le taux de change USD/RMB (graphique 1 dans le document joint). Nous pensons qu’il restera inférieur à cette juste valeur, atteignant un niveau de 6,22, compte tenu de la faiblesse attendue du dollar, des perspectives solides pour les échanges mondiaux en 2021 et un certain apaisement des tensions commerciales sino-américaines. Dans ce contexte, le RMB devrait s’apprécier par rapport à l’ensemble des devises de référence de nos portefeuilles (USD, EUR, CHF et GBP).
Dans cette optique, nous examinons quatre risques clés qu’il convient de surveiller.
Risque n°1 : détérioration des perspectives d’exportations et du dialogue commercial entre les Etats-Unis et la Chine
Les tensions sino-américaines existent depuis longtemps et concernent les pratiques commerciales, la technologie, les droits de l’homme et l’agressivité de la Chine à l’égard de voisins comme Taïwan et Hong Kong (voir graphique 2). Ces tensions subsisteront sans nul doute. Mais par le passé, le RMB a surtout été freiné par l’intensification des tensions commerciales depuis 2018 et, en particulier, le renforcement des barrières tarifaires.
Bien que les relations entre les Etats-Unis et la Chine sous la présidence de Joe Biden puissent rester complexes dans plusieurs dossiers (graphique 2 dans le document joint), nous considérons comme peu probable une aggravation des tensions commerciales. Il est plausible que les droits de douane en vertu de la section 301 restent en place plus longtemps (nous attribuons une probabilité de 50% à une réduction de ces droits dans les 12 à 18 prochains mois). Toutefois, outre le niveau des droits de douane, les perspectives d’exportations sont plus importantes pour le RMB.
Lors des deux dernières phases initiales de dépréciation du RMB (2015 et 2018), la situation sur le front des exportations s’est détériorée. En 2015, la situation commerciale de la Chine (et du monde) se dégradait rapidement dans le contexte d’une monnaie clairement surévaluée (en 2014-2015, l’USD/RMB était toujours resté inférieur à 6,40, alors que l’EUR/USD a dévissé de 1,40 à moins de 1,10). En 2018, l’administration américaine a imposé des droits de douane à un moment où les perspectives d’exportations étaient déjà ternes. Cette décision a accentué l’incertitude et pénalisé les exportations chinoises. Cela a coïncidé avec une dépréciation de la devise chinoise (graphique 3 dans le document joint).
Aujourd’hui, les perspectives d’exportations chinoises (et mondiales) semblent meilleures. Les chiffres du mois d’avril ont fait état d’une croissance supérieure à 30% en glissement annuel (malgré un effet de base défavorable) et d’une hausse des exportations de produits liés au cycle manufacturier mondial (p. ex. biens d’équipement et de consommation, produits intermédiaires), en dépit d’une forte baisse de la demande de biens qui avaient été favorisés par la crise du Covid (électronique, matériel de protection, etc.). Plusieurs autres pays asiatiques (auxquels la Chine est liée par des chaînes d’approvisionnement et dont les exportations sont corrélées) ont aussi affiché une solide croissance de leurs exportations. A titre de référence, la composante des commandes à l’exportation du PMI manufacturier asiatique se situe désormais au-dessus du 80e centile de son niveau historique (contre le 50e centile en 2015 et 2018). Nous continuerons à surveiller les perspectives d’exportations, mais jusqu’à présent, leur évolution soutient notre opinion sur la monnaie chinoise.
Risque n°2 : net affaiblissement du secteur immobilier et resserrement rapide du crédit
Nous pensons qu’il faudra surveiller les données sur l’activité en Chine, le secteur immobilier en particulier, ainsi que l’attitude des autorités en matière de crédit. Entre 2013 et 2014, un assouplissement marqué de la politique monétaire suivi d’un resserrement a entraîné un net repli du secteur immobilier. Cela a induit d’importantes sorties de capitaux des résidents nationaux et, par suite, une dépréciation du RMB (graphique 3 dans le document joint). Actuellement, alors que les autorités appliquent des mesures macro-prudentielles ciblées pour ralentir les activités de crédit, l’immobilier résiste relativement bien. En 2021, le marché table sur une croissance de 8,5% en Chine et nos prévisions sont légèrement supérieures, s’établissant à 9%. Le crédit est resserré par des mesures quantitatives (p. ex. restrictions sur les prêts) et par une réduction des émissions de dette de la part des autorités locales. Mais cette fois-ci, le cycle de crédit est plus calibré que lors d’épisodes passés où la Chine passait de périodes de surstimulation à des périodes de resserrement excessif.
Risque n°3 : les autorités permettent une dépréciation du RMB pour tenir compte des tensions géopolitiques accrues
Certains observateurs ont suggéré que les autorités chinoises pourraient affaiblir la monnaie ou la laisser simplement fluctuer en cas d’imprévu, comme une guerre entre la Chine et Taïwan, ou d’incident national (p. ex. récente quasi-défaillance d’un gérant d’actifs détenu par l’Etat). Sans exclure de tels scénarios, l’image d’une banque centrale qui abandonne sa monnaie évoque la mini-dévaluation de la Chine (T3 2015) ou l’abandon du rouble par la Russie fin 2014. Néanmoins, ces cas avaient tous comme point de départ des fondamentaux indiquant des pressions à la baisse sur la devise : soit la balance des paiements se détériorait fortement, soit le régime des changes était soumis à des changements radicaux. En 2015, ces deux facteurs se sont conjugués pour entraîner une dépréciation du RMB.
Mais la balance des paiements reste assez solide à l’heure actuelle. La balance courante devrait rester amplement excédentaire, même si sa vigueur récente pourrait s’estomper avec la normalisation post-Covid et la reprise du tourisme chinois à l’étranger. Du côté des flux de capitaux, le marché de la dette devrait bénéficier d’apports stables, estimés à USD 150 milliards, de la part des investisseurs cherchant à reproduire la performance des indices. Ces flux seront structurels et moins sensibles à la propension au risque au niveau mondial. Enfin, malgré la volonté du Conseil d’Etat chinois de tolérer un plus grand nombre de défaillances (ou restructurations) d’entreprises publiques, la dette des entreprises chinoises est surtout émise localement en RMB et peu en devises étrangères. Cela constitue un moindre risque pour la monnaie que dans d’autres pays émergents.
En fait, le risque est plutôt de voir la Chine ouvrir la voie à une appréciation encore plus marquée. La nouvelle administration américaine semble insister davantage sur l’opacité des interventions de la Chine sur le marché des changes, après des suggestions d’accumulation de dollars par les banques d’Etat chinoises et d’autres acteurs locaux (graphique 4 dans le document joint). En supposant que le dialogue commercial entre les Etats-Unis et la Chine se poursuive et que les perspectives des exportations chinoises restent raisonnables, il y a de bonnes chances que les autorités doivent s’accommoder d’un RMB plus fort dans les trimestres à venir.
Risque n°4 : hausse sensible des investissements des résidents chinois à l’étranger
Depuis 2015, les autorités ont sensiblement réduit les barrières aux entrées de capitaux venant de l’étranger, mais sont restées réticentes à autoriser les sorties de capitaux des résidents chinois. Ce traitement asymétrique du compte de capital (autorisant les entrées, mais pas les sorties) a atténué les pressions à la baisse excessives après 2016. Mais au cours des derniers trimestres, les autorités ont progressivement assoupli leur approche (le graphique 5 présente certaines des mesures envisagées). Nous pensons que la hausse des investissements chinois à l’étranger devrait être progressive, mais nous continuerons à suivre cette évolution.
Conclusion. Nous maintenons une opinion positive à l’égard du RMB, compte tenu de sa valorisation, d’une balance des paiements favorable et de perspectives d’exportations chinoises encore satisfaisantes. Nous maintenons une surpondération de 4,5% par le biais de positions longues en dette gouvernementale chinoise dans la plupart de nos portefeuilles. On n’observe encore aucune détérioration des perspectives d’exportations mondiales, préambule à la dépréciation du RMB en 2015 et 2018. Cela étant, nous continuerons à surveiller le dialogue commercial sino-américain, les perspectives d’exportations, le cycle de croissance intérieure et la libéralisation des sorties de capitaux par les autorités.